La bataille entre Flangers et Leslie
« Flanger » (British) contre « Doppler » (Leslie, US)
Au commencement étaient la cabine Leslie (modulation Doppler, électro-mécanique) et la reverb (simulation acoustique d’espace).
Au milieu des sixties, le besoin d’une nouvelle « cosmétique sonore » profite des progrès constants de l’électronique, et d’un allègement constant du matériel grâce aux transistors, circuits imprimés et aux premiers circuits intégrés. La recherche en studio est dans son âge d’or, et mille et unes astuces techniques vont déboucher sur des trouvailles.
Au milieu des nineties, c’est cette fois les possibilité numériques de « processer » un signal, et de lui appliquer de fortes charges de calcul qui va transformer la production musicale.
Les « effets » sont un outil d’orchestration, et ont pour objectif essentiel de différencier clairement des « plans sonores » que l’oreille pourrait confondre ou « écraser » sans eux.
L’effet est aussi un assaisonnement et une signature pour les musiciens, on oublie souvent que c’est aussi un outil stimulant l’acuité de l’oreille (et attirant l’attention).
Phasing, Flanger et Chorus sont trois effets de modulation (variation de hauteur légère et cyclique) avec interférence. C’est la même famille, qui se différencie par les temps de retard : 5ms (phasing), 10 à 25 ms (flange), supérieur à 20, 25 ms (chorus). Au dela, le son doublé devient perceptible comme redoublement “slapback”.
Ils viennent tous du flange de studio et sont d’influence anglaise. Ils sont simulables électroniquement, dans une certaine mesure.
Retard modulé et variation de hauteur, c’est en effet la même chose, avec un effet glissant d’annulation des fréquences « en peigne » : « Whoooooshhhh » en rotatif ! Combfilter en anglais. Interférence destructive en français.
Il faut (en plus du magnéto multipistes) un retard et un varispeed. La plupart des magnétos ¼ de pouces permettent effectivement de faire cela.
Premièrement on retarde la piste, bande à l’envers (en rétrodéfilement) avec un deuxième magnéto ¼ [facile, tête sync et tête repro sont décalées, et permettent un retard forfaitaire, vers 250 à 350 ms, typiquement (ça change avec la vitesse)].
Deuxièmement, on passe (en défilement normal) la piste maintenant en avance au même retard et au varispeed (réglage fin de vitesse du magnéto), en mélangeant avec le signal direct initial.
Remarquer que le signal modulé peut ainsi arriver en avance « devant » le signal direct. Ceci explique qu’aucun moyen électronique ne peut simuler complètement cet effet (ni l’électronique, ni le numérique ne lisent l’avenir !).
Cela s’appelle un tape-flange, et cela produit des battements plutôt agréables entre le son direct et le son modulé. Ces battements (addition de fréquences proches) font « avancer » la piste dans le mixage (la présence augmente, et on a un sentiment de proximité). Il peut y avoir des effets de balayage, dus au réjections-annulations de fréquences avec une sensation plus « panoramique ».
Retard modulé court : phasing – Retard moyen : flanger – Retard long : chorus
Bizarrement, ces trois effets “typent” différement, bien que de même nature…
Flanger : première utilisation musicale par Lester Polfüss, dit “Les Paul”, en 1945, Mamie’s boogie présente un flange réalisé avec deux tourne-disques asynchrones et un varispeed. Un exploit de plus à son crédit… Info relayée par Harold Bode (celui du diagramme du spectre audible).
A l’époque des Beatles, c’était un des seuls effets possibles, avec la réverbération à plaques. Avec leur ingénieur du son si discrètement virtuose, Ken Scott, ils en ont fait des merveilles…
“While My Guitar Gently Weeps – The Beatles”, par exemple… ou “Give A Little Bit – Supertramp” (phasing et flanger !)
Ces effets sont particulièrement efficaces sur les sons tenus, plus que sur les sons courts ou percussifs.
Dans le son U.S. la cabine Leslie est usuellement préférée, elle a l’avantage de fonctionner en direct, mais exclut complètement les effets de grands balayages fréquentiels du flanger « classique ». Les organistes utilisent à plein les deux effets, particulièrement efficaces sur leurs Hammonds, Wurlitzers ou Farfisas.
Ce qui est amusant, c’est que les effets et leur utilisation sont maintenant très générationnels, et signent souvent… votre âge !